Hayao Miyazaki, les femmes au centre de son œuvre
Si les films de Hayao Miyazaki sont très appréciés pour leur qualité irréprochable d’animation, on ne peut pas les regarder sans constater une chose : les personnages féminins sont systématiquement mis en avant.
En effet, pour l’écrasante majorité des succès du fondateur des studios Ghibli, on ne suit pas les péripéties d’un héros mais bien d’une héroïne. En vérité cela découle d’une intention de l’auteur lui-même. La figure de la femme dans les films de Miyazaki s’émancipe de tous les stéréotypes souvent véhiculés dans l’animation.
La réalisation de films d’animation, notamment pour enfant, tombe souvent dans la facilité du recours à la caricature. Ceux-ci proposent des personnages très stéréotypés. Malheureusement, ce sont souvent les personnages féminins qui en pâtissent. Elles tombent alors dans les clichés de femmes sans nuances, trop gentilles ou trop cruelles, trop belles ou trop laides.
En 1989, Disney sort La petite sirène où Ariel renonce à sa voix pour rejoindre l’homme de ses rêves. La même année Ghibli sort Kiki la petite sorcière où l’héroïne découvre les responsabilités de l’indépendance. Si tous les films de princesses Disney ont pour personnage principal une femme, celle-ci devra bénéficier systématiquement d’un homme (souvent le prince) afin d’accomplir sa destiné. Miyazaki déclare dans une interview en 2015 :
“Beaucoup de mes films comportent des personnages féminins forts. Des filles courageuses et indépendantes. Elles auront peut-être besoin d’un ami, ou d’un soutien, mais en aucun cas d’un sauveur”.
Ces femmes, jeunes filles et enfants deviennent ainsi seule maîtresse de leur histoire.
La figure du personnage féminin de Miyazaki est d’une extraordinaire variété. Elle peut être magique ou maléfique, jeune ou vieille, orpheline ou en famille. Les héroïnes s’étalent dans une tranche d’âge large allant de la toute petite fille dans Ponyo sur la falaise à l’octogénaire dans Le château ambulant. Mère célibataire, chapelière, étudiante, si elles peuvent être belles ou laides, elles sont souvent tout à fait banales. Elles ont d’ailleurs souvent peu de signes qui les distinguent comme étant personnage principal de l’œuvre.
En effet, l’animation, notamment japonaise, est reconnue pour doter les personnages principaux de coiffures improbables ou de cheveux colorés. Les héroïnes d’Hayao Miyazaki arborent plutôt des cheveux bruns, une simple queue de cheval et des petits yeux communs. Cela les ancres dans la réalité et permet une identification assez universelle qui contribue à prouver aux jeunes audiences qu’il n’y a pas besoin d’être extraordinaire pour accomplir de grandes choses. Elles n’ont par ailleurs, pas besoin d’être des femmes “fortes” pour être mis en avant. Si San de Princesse Mononoké constitue l’archétype de la femme guerrière, Chihiro du Voyage de Chihiro est une enfant peureuse et pleurnicharde qui a cependant pris sont courage à deux mains pour sauver ses parents.
Les personnages féminins mémorables des films de Miyazaki ne sont pas seulement les héroïnes, elles peuvent être des antagonistes, toujours nuancées. C’est le cas par exemple de la sorcière des landes du Voyage de Chihiro. Celle-ci apparaît d’abord comme une diva jalouse de Sophie, pactisant avec un démon afin de combler son avidité de pouvoir. On la retrouve finalement sous sa vraie forme et devient une très vieille femme, fragile et inoffensive. C’est en vérité le chagrin de voir son grand amour partir qui l’a conduite à se consumer dans une jalousie malsaine.
De la même façon, dans Princesse Mononoké, dame Eboshi représente la figure antagoniste de San. Quand cette dernière représente la faune et la flore, Eboshi est l’industrie et les armes. Elle apparaît comme la cheffe d’une communauté de lépreux qu’elle a recueillie et qui construisent des armes. Sa fidélité sans faille envers ses protégés la pousse à nourrir une haine aveugle envers le peuple de la forêt. Elle est une femme arrogante et forte qui a délivré les habitants du village de l’oppression. Cependant, elle a d’abord été elle-même victime et est consciente des injustices que subissent les minorités. Elle comprend à la fin du film qu’elle et San livrent en vérité la même sorte de combat et promet de laisser le peuple de la forêt en paix.
Dans la culture japonaise, les normes de genres restent très conservatrices. Hayao Miyazaki proposent des modèles féminins mis en scène dans des fables destinées à un public plutôt jeune. Il permet ainsi de placer la femme en tant que véritable actrice de sa destiné.
Pour en savoir plus :
À lire également sur Artistik Rezo : “Hayao Miyazaki, entre univers fantastique et critique de la société moderne”.
Propos de Léa Chanut Ferlin
Articles liés
“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune
A dix-sept ans, Yasser, le frère de Rabih Mroué, subit une blessure qui le contraint à réapprendre à parler. C’est lui qui nous fait face sur scène. Ce questionnement de la représentation et des limites entre fiction et documentaire...
“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins
Victor l’a quittée. Ils vivaient une histoire d’amour fusionnelle depuis deux ans. Ce n’était pas toujours très beau, c’était parfois violent, mais elle était sûre d’une chose, il ne la quitterait jamais. Elle transformait chaque nouvelle marque qu’il infligeait...
La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”
Raconter la vie d’une femme dans sa poésie propre, de l’enfance à l’âge adulte. En découvrir la trame, en dérouler le fil. Les mains féminines ont beaucoup tissé, brodé, cousu mais elles ont aussi écrit ! Alors, place à leurs...